Le mois de Tichri débute le 25 septembre (La Croix 20 septembre 2014)

Premier mois de l’année juive, il est le plus riche en fêtes liturgiques, et le plus intense

REPÈRES

Le judaïsme distingue les grandes fêtes, fixées par la Torah, et les petites fêtes d’institution rabbinique, en général liées à des événements historiques. Parmi les grandes fêtes :

  • Pessah (Pâque), Chavouot (Pentecôte), Soukot (Fête des Cabanes, dite aussi de Tentes ou des Tabernacles) portent le nom de « fêtes de pèlerinage » parce qu’elles rappellent les trois étapes de la sortie d’Égypte. Ce sont des fêtes joyeuses. Aux temps bibliques, elles étaient marquées par la montée de tout le peuple au Temple de Jérusalem. Jésus a connu et vécu les célébrations festives : « Chaque année, ses parents se rendaient à Jérusalem pour la fête de Pâque. Quand il eut douze ans, ils y montèrent, comme c’était la coutume, pour la fête » (Lc, 2,41-42). « Durant le séjour qu’il fit à Jérusalem pour la Pâque, beaucoup crurent en son Nom » (Jn, 2,23). « La fête juive des Tentes approchait… Quand ses frères furent montés à la fête, il y monta lui aussi » (Jn, 7,2 et 10).
  • Roch Hachana (Nouvel An), Yom Kippour (Jour du pardon) sont appelées par la tradition les fêtes austères, en raison de la gravité, de la solennité qui les caractérisent. Elles évoquent le jugement et le pardon de l’homme, appellent tous les juifs à une confrontation avec Dieu, avec eux-mêmes, avec la communauté.

UN MOIS POUR REFAIRE SON ÂME

La synagogue est entièrement parée de blanc. Alors que la rentrée scolaire et professionnelle est encore toute proche, nombreux sont les fidèles, même ceux qui en sont éloignés, à en retrouver le chemin.

                Roch Hachana, le Nouvel An juif (25 et 26 septembre)

Premier jour de l’année juive – même si Tichri est le 7e mois –, Roch Hachana (littéralement Tête de l’année) inaugure en effet un temps particulier où chacun est convoqué devant le tribunal de Dieu. « Au jour de Roch Hachana, Dieu inscrit chacun de nous dans le livre de vie. À Kippour, il scelle le jugement », affirme la tradition.

En ce « jour de jugement », qui est aussi jour anniversaire de la création du monde et de l’homme et jour du souvenir de la ligature d’Isaac, la liturgie est marquée par les sonneries du chofar, cet instrument taillé dans une corne de bélier qui, avec ses accents, rauques et plaintifs, parfois saccadés comme des sanglots, invitent à accomplir la Techouva , le « retour » à Dieu.

Le moment où, devant l’arche ouverte, tous chantent le « Avinou Malkénou » (Notre Père, Notre Roi), une litanie grave par laquelle les fidèles reconnaissent et proclament la souveraine royauté de Dieu et l’implorent de les inscrire au Livre de Vie, est également très marquant. « La formule liturgique ”Écris nous dans le Livre de la Vie” est à comprendre de la façon suivante : “Aide-nous dans notre effort d’écriture vers la vie”, explique toutefois Jacky Milewski (1). Ce n’est pas l’écriture ou la vie, mais l’écriture pour la vie .  »

L’après-midi, les fidèles se rendent auprès d’une source, d’un cours d’eau, d’un fleuve, d’un lac, de la mer… pour y jeter symboliquement leurs fautes, en récitant des versets de Michée (7, 18-20) et du psaume 118. Et, le soir, tous se retrouvent à la maison pour un repas de fête.

« Roch Hachana marque le Nouvel An, mais sans cette ivresse qui pourrait lui être accolée , précise Janine Elkouby professeur agrégée de lettres à l’université de Strasbourg et auteur de nombreux ouvrages. On partage le repas avec sa famille, ses proches. Les mets, des pommes dans le miel, des dattes, des grenades… symbolisent le souhait formulé à ses proches :Que cette année qui commence soit pour nous agréable et douce ». Mais la fête est empreinte de gravité. On reprend conscience du temps, de la nécessité de se construire dans le temps. Dans les jours qui suivent, on va tenter de voir ce qu’on a fait de sa vie, de faire la vérité sur soi-même, de retrouver le sens de la liberté. »

10 jours de pénitence

Roch Hachana inaugure une période de dix jours, qualifiés de « redoutables », durant laquelle chacun, aidé par la prière, le repentir et la charité, est invité à se mettre en paix avec lui-même, avec son prochain et avec Dieu.

«  Qu’avons-nous fait durant l’année qui s’est écoulée ? Qu’avons-nous vraiment fait ? De quoi dois-je me débarrasser pour revenir à ce que je dois vraiment être ? Durant ces jours, confie Liliane Apotheker vice-présidente du Conseil International des Chrétiens et des Juifs (ICCJ), tout prend une dimension existentielle car nous savons que nous sommes dans une période de jugement de Dieu, de nous sur nousmêmes, des autres sur nous-mêmes Nous savons aussi que Dieu nous pardonnera les offenses qu’on lui a faites, mais pas celles faites à notre prochain. Or demander pardon n’est pas si facile. Cela demande un long travail de la conscience et de l’âme .  »

     Le bouleversant office de Kol Nidré

La veille de Kippour (tous les jours commencent la veille au soir dans le calendrier hébraïque) les familles prennent un bon repas avant de se rendre à l’office de Kol Nidre (tous les vœux). La plupart des synagogues ont loué pour l’occasion une salle bien plus grande que leur lieu habituel pour accueillir les fidèles. Un chant solennel, lent, grave et bouleversant, repris trois fois comme une incantation, va crescendo, et ouvre les célébrations de Kippour.

«  Pourquoi sommes-nous si nombreux ce soir de Kol Nidré ?, s’interroge Liliane Apotheker. Pourquoi aimons-nous tant ce chant rédigé en araméen, qui nous unit et nous bouleverse, mais que nous ne comprenons pas alors que le judaïsme est connu pour sa volonté de comprendre, de scruter le sens de ce qui est dit ? Il y a là une part de mystère. Certains comprennent le Kol Nidré comme l’annulation des promesses faites dans le passé, d’autres déclarent nuls les vœux à venir, ce qui est plus étrange encore. Des explications historiques et psychanalytiques sont proposées. Mais, en réalité, le sens nous échappe. Nous sommes là, devant Dieu, avec nos engagements pas tenus, et cette humilité intérieure qui nous permet de nous savoir, même armés des meilleures résolutions, incapables d’être toujours droits et justes. »

L’office de Kil Nidre terminé, alors que le soleil vient de se coucher, chacun – à l’exclusion des enfants qui n’ont pas fait leur bar ou bat mitzva – entame 25 heures de jeûne, pendant lesquelles il respecte aussi toute sorte d’interdits qui lui permettent de s’abstraire de toute préoccupation matérielle pour se consacrer entièrement par la prière, à la redécouverte de son être et à la réconciliation avec Dieu.

                Yom Kippour, le jour du pardon (4 octobre)

Le 10 du mois, jour le plus saint et le plus solennel du calendrier hébraïque (jour où Dieu a pardonné aux enfants d’Israël la faute du veau d’or), les synagogues sont pleines à craquer. Les longues litanies pénitentielles, très répétitives et les chants liturgiques propres à ce jour occupent presque sans interruption la journée. Les fidèles, placés face à leurs fautes mais aussi à leur désir intime d’un nouveau commencement, écoutent aussi de nombreux textes bibliques et talmudiques. L’après-midi, la lecture du livre de Jonas, – «  pour apprendre à pardonner à son tour l’impardonnable  » comme l’écrit le philosophe Armand Abécassis (2) – aide à entrer encore plus avant dans la fragilité de la contrition.

En fin de journée, ceux qui n’ont plus de voix pour chanter, qui ont faim et soif, retrouvent une nouvelle ferveur. Tandis que le crépuscule descend, le chantre entonne l’office de Neila. Les destinées vont être fixées, le jugement scellé. « La lumière baisse, le jour décline, laisse-nous entrer dans tes portes, ô notre Père, notre Roi, scelle-nous dans le livre de vie », implorent une dernière fois les fidèles avant de chanter la profession de foi du Chema Israël, de proclamer « Adonaï Jou Ha Elohim », c’est-à-dire « le Seigneur est Dieu » (1 R 8,60). Alors, une dernière fois résonne le son du chofar. Alors les « portes du Ciel » se referment.

Après 25 heures de jeûne et de recueillement – du coucher du soleil à l’apparition de trois étoiles le lendemain – après une telle tension de l’âme et des sentiments, Kippour est achevé.

Les familles et leurs amis se retrouvent à la maison pour rompre le jeûne : limonade, café, petits gâteaux sucrés fourrés aux amandes et aux raisins secs, bouillon de poule… avec le sentiment que l’année peut commencer.

«  Au fil de la journée, la communauté a demandé à Dieu d’ouvrir son cœur, ses oreilles. Avec Neila, la journée de grâce se referme. Mais chacun sent très intensément qu’il a une nouvelle chance. Que quelque chose s’ouvre de nouveau, qu’un nouveau départ est possible  », confie Janine Elkouby.

                Soukot, la fête des cabanes (9 au 16 octobre)

Aux fêtes austères succède la fête joyeuse de Soukot. Dès le lendemain de Kippour, petits et grands participent à la construction de la soukka. En souvenir des 40 ans passés par Israël dans le désert, ils dressent dans leurs jardins, sur les balcons de leur maison, mais aussi à la synagogue, une cabane (soukka, soukkot au pluriel) recouverte de branchages et décorée de fruits, mais ouverte sur le ciel pour apercevoir les étoiles, car Israël n’a d’autre protection que Dieu. Dès le 15 du mois, pendant une semaine, ils vont y prendre leur repas, y lire et y étudier, dans une atmosphère très particulière où chacun prend le temps de parler, tout à la joie retrouvée de vivre enracinés dans le réel, conscients de la précarité de l’existence et ouverts à la parole d’autrui, avec espoir et confiance.

Si l’essentiel se joue à la maison, la joie de Soukot se manifeste également à la synagogue, spécialement durant les offices du matin, lorsque les fidèles chantent en procession en agitant un loulav, bouquet constitué de branches de palmier, de myrte et de saule, tenu dans la main droite, tandis que dans la main gauche, ils serrent le cédrat, en hébreu éthrog, sorte de gros citron (Lv 23,40). Loulav et éthrog, distribués par la synagogue, représentent symboliquement l’ensemble du Peuple d’Israël, dans sa diversité.

Le 7e jour, le plus solennel, est appelé Hocha‘na rabba « la grande Hochana ». Ce jour-là, les fidèles, dont un grand nombre sont vêtus de blanc, font, loulav en main, sept fois le tour du rouleau de la Torah en chantant des poèmes liturgiques et en reprenant le refrain Hocha‘na  « De grâce sauve-nous ».

     La joie du huitième jour

Le septième et dernier jour de Soukot est suivi d’une fête supplémentaire, «  Chemini atséret  » , « Jour de la réunion » (Lv 23,36). La joie culmine alors avec la célébration de Simhat Torah, (Joie de la Torah). Dans la synagogue, les fidèles chantent et dansent avec les rouleaux de la Torah comme David devant l’Arche (2 S 6-14). Les derniers versets du Deutéronome sont lus, puis les premiers de la Genèse, pour manifester que la lecture de la Torah se fait sans interruption.

«  Le mois de Tichri est à la fois un point de départ, et un point d’arrivée, conclut Janine Elkouby . Il est source d’énergie pour le reste de l’année  »

Martine de Sauto

(1) Les Convocations d’automne , PUF. (2) Les Temps du partage 2 , Albin Michel.

PAROLES


« Nous sentons croître en nous crainte et tremblement, espérance et apaisement »

«  ”Seigneur mon Dieu, notre Père, notre Roi.” Au fur et à mesure que se déploie la liturgie de ce jour, le plus solennel de l’année, nous sentons croître en nous crainte et tremblement, espérance et apaisement.

Avant la dernière confession de la Neïla, nous dirons encore : “Que pouvons-nous dire devant Toi, qui trônes dans les cieux, que pouvons-nous T’apprendre, à Toi qui habites les régions supérieures ? Ne connais-Tu pas les choses les plus cachées comme les plus apparentes ?” Et cependant, Seigneur, depuis le début de ces jours graves et redoutables, Tu nous as demandé de faire devant Toi un retour sur nous-mêmes, de confesser nos fautes volontaires et involontaires, et d’implorer Ton pardon.

Tous les textes lus, chantés, priés, toute la démarche spirituelle, intensifiée depuis dix jours, nous ébranlent et nous retournent. On voudrait souvent s’arrêter, méditer en silence sur un mot, sur une phrase, et partager avec d’autres ces fruits exceptionnels que nous prodigue l’intériorisation de ces textes, dans ce face-à-face que Tu nous offres, Ô mon Dieu, en ce jour de Kippour. »

Méditations de Colette Kessler avant l’office de Neïla de Kippour, parues dans « Dieu caché, Dieu révélé » , Éd. Lethielleux.


ENTRETIEN
avec Rivon KRYGIER, rabbin de la synagogue Adath Shalom et de la communauté juive massorti de Paris. Docteur en sciences des religions.

 

« Le temps de la seconde chance »

Le rabbin Rivon Krygier explique la cohérence du mois de Tichri. La purification et la joie en sont les deux versants. Et le repentir le mot-clé.

Quel est le sens du mois de Tichri ?

Rivon Krygier : Les sages du Talmud expliquent que, après la faute du veau d’or, le 1er Eloul – mois qui précède Tichri –, Moïse était remonté sur le Sinaï pour en redescendre quarante jours plus tard, le 10 Tichri, qui correspond à Kippour. Le mois de Tichri correspond donc au temps de la réception des secondes tables de la Loi rapportées par Moïse, de la réconciliation entre Dieu et Son peuple. C’est le temps de la seconde chance. Il commence par un temps de remise en question : le regard se tourne vers le passé, scrute la mémoire, afin de réinitialiser quelque chose en nous, de réorienter notre vie, nos choix, nos valeurs, nos priorités, de la réaiguiller si possible sans détruire tout ce qui a été bâti, dans un nouvel élan d’amour et de justice.

Comment la liturgie accompagne-t-elle ce cheminement ?

  1. K. : Au cœur de la liturgie de Roch Hachana, le son strident du chofar (cor) est là pour provoquer un saisissement en vue d’un ressaisissement. Il s’agit, par la vertu de la catharsis, de faire naître le frisson, l’effroi même, qui remue notre conscience jusqu’à la plonger dans la mémoire obscure et nous faire traverser « la vallée de la mort » (Ps 23). Juste après, il est proclamé : « ha-yom harat ôlam » (« aujourd’hui est engendré le monde »), que l’on interprète souvent à tort comme un rappel de la Création du monde. Ce n’est pas de la Création du monde qu’il est question à Roch Hachana, mais de sa propre recréation, de sa renaissance. Pendant dix jours, les litanies, les chants, les invocations, les prières de repentir nous font aussi réfléchir sur le sens de notre vie, nous soutiennent dans notre examen de conscience, dans la reconnaissance de nos fautes et l’acceptation de notre vulnérabilité. Nous ressentons tout particulièrement celle-ci à Kippour, à cause de l’ascèse du jeûne qui nous place dans un état fébrile de la conscience, nous fait côtoyer les limites de nos forces et de notre résistance, et nous replace entre les mains de Dieu. Après ce temps de vérité où nous rendons des comptes sur notre conduite, vient le temps d’implorer la clémence divine, et d’espérer sa miséricorde.

Dieu pardonne-t-il toutes les fautes ?

  1. K. : Le Dieu de la Bible et du judaïsme est un Dieu en attente, qui compte toujours sur la capacité humaine à se prendre en main. Dieu ne demande pas que nous soyons parfaits. Il sait qu’ « il n’est pas de juste sur la terre qui ferait le bien sans jamais faillir » (Ecclésiaste 7, 20). En revanche, il attend de nous que nous décidions d’accomplir notre part dans la réparation des choses, ce que nous sommes capables de faire qui est souvent bien plus que ce que nous croyons pouvoir faire. Ainsi, pour obtenir le pardon divin, il faut d’abord se réconcilier avec son prochain, restaurer la confiance brisée jusqu’à pouvoir le regarder avec bienveillance malgré le ressentiment qui reste souvent tapi dans le cœur. Un passage de la liturgie de Kippour le dit avec force : « Donne à mon cœur de focaliser mon regard sur les vertus de mon prochain et non sur ses vices. » Autrement dit, le pardon de Dieu dépend de notre capacité à regarder autrement, à redevenir dignes de confiance et à l’accorder aux autres.

La joie de Soukot (fête des Cabanes qui suit Kippour) est-elle en lien avec cette confiance dans le pardon de Dieu ?

  1. K. : À Soukot, nous sommes à l’aboutissement d’un cycle. Au versant des fêtes austères qui durant dix jours de repentance vont de Roch Hachana à Yom Kippour, correspond le versant jubilatoire des huit jours de la dernière des trois fêtes de pèlerinage. Au temps du Temple, cette fête était paroxystique : les récoltes rentrées, les pèlerins qui déjà espéraient la pluie montaient à pied vers Jérusalem, pour visiter le Temple où habite la « Présence divine ». Cette intimité avec Dieu, renouvelée par la purification de Roch Hachana et Kippour, est au cœur de Soukot. La soukka construite en mémoire des cabanes où séjournaient les enfants d’Israël sortis d’Égypte (Lévitique 23,41-43) avec une toiture végétale, à travers laquelle peut passer la pluie, symbolise notre relation de dépendance et de vulnérabilité, joyeuse et heureuse, avec Dieu. Nous nous abandonnons de manière quasi mystique à cette relation. Soukot a par ailleurs une dimension universelle, puisque la soukka est aussi un lieu de rencontre, d’accueil. Or, il n’y a pas plus grande joie que celle de rencontrer, d’apporter un peu de réconfort, d’amour, de justice et de paix autour de soi.

 

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